Triste tigre Neige Sinno

Coup de cœur

Mélange de récit autobiographique et d’essai, Triste tigre est une lecture difficile, mais nécessaire. Dans ces lignes primées par le Prix Femina 2023, Neige Sinno relate son expérience d’enfant et adolescente victime d’inceste par son beau-père.

Au-delà de la puissance du témoignage, l’œuvre de Neige Sinno impacte par l’important travail documentaire effectué autour des questions liées aux abus sexuels et aux traumatismes vécus dans l’enfance. L’autrice convoque de nombreuses références scientifiques, renvoie à d’autres témoignages, cite des chiffres. La rigueur de l’essai côtoie la violence du vécu, de la première à la dernière page.

La parole est libérée, le verbe parfois cru, les souvenirs et impressions partagées avec nous souvent glaçantes. On sent dans les mots, dans les tournures employées et dans la manière de traiter le sujet que ce partage vient après avoir réalisé un immense travail sur soi et sur les événements passés. Neige Sinno n’est pas dans le pathos. Elle reste factuelle. Rapporte les souvenirs avec précision, tout comme l’impact des actes qu’elle a subis sur sa vie d’adulte. On a particulièrement apprécié ses mots où ne percent pas la colère, son écriture qu’on ne perçoit pas comme un travail exclusivement cathartique. Difficile d’imaginer le long cheminement qui a pu mener à pouvoir partager ce vécu aussi posément.

On s’interroge beaucoup à la lecture de ce récit, notamment au cours de l’épisode où Neige dévoile l’inceste qui conduit son beau-père en prison pour plusieurs années et, en même-temps, jette l’opprobre sur toute la famille. Un village entier, ou peu s’en faut, qui se détourne des victimes, alors que le coupable est justement condamné, une demi-sœur qui en veut à Neige de l’avoir privée d’un père pendant une grande partie de sa jeunesse, ledit père n’ayant jamais abusé des enfants « de son sang »…

On réfléchit également en prenant connaissance de l’ « après ». L’histoire ne s’arrête en effet pas avec la condamnation et la peine purgée par ce beau-père incestueux. Sans vous dévoiler les détails de cet « après », on ne peut que vous encourager à découvrir les mots de Neige Sinno et à vous interroger, notamment, sur le droit à l’oubli.